Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à la Maison Marie-Thérèse

– Sainte Marie, mère de Dieu (solennité)

- Nb 6,22-27 ; Ps 66,2,3.5.7-8 ; Ga 4,4-7 ; Lc 2,16-21

Frères et Sœurs,

Par la circoncision, on donne à l’enfant le nom qui a été prévu et annoncé par l’ange : Jésus, Dieu Sauve. Et c’est ainsi que se conclut le cycle des événements immédiatement liés à la naissance de Jésus. A partir de maintenant commence une nouvelle aventure qui est la manifestation du Fils de Dieu parmi les hommes et dont les bergers vont être les premiers acteurs en racontant partout ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu et ce qu’ils ont vécu. Mais dans ce drame qui commence, une personne reste au centre de l’image et ne dit rien, c’est Marie. « Marie rassemblait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Elle devenait ainsi la première mémoire de l’Église, celle qui retenait ce qui était arrivé et qui en extrayait le sens et la portée. Cependant, sauf à des moments tout à fait exceptionnels dans l’évangile, elle ne dira rien.

Marie Mère de Dieu, des générations de chrétiens l’ont invoquée… comme s’il allait de soi que, puisqu’elle était la mère de Jésus, elle fût aussi la Mère de Dieu. Les théologiens, après, ont eu beaucoup de soucis pour s’arranger avec cette nomenclature ! Mais il a bien fallu qu’ils s’y fassent ! Marie est la Mère de Dieu. Et comme Mère de Dieu, elle porte en elle tout le poids du projet de Dieu tel que Gabriel lui a annoncé, tout le poids de la mission de Jésus telle qu’il a commencé à la réaliser. Elle le portera jusqu’au pied de la croix et jusqu’au cénacle.

Ainsi, Marie devient la première mémoire de l’Église, et nous savons bien que les évangiles, et en particulier Luc, ont puisé dans cette mémoire pour évoquer les premiers pas de l’histoire du Salut en notre temps. L’annonce faite à Marie, la nativité, puis la suite. C’est donc avec Marie que nous sommes invités, nous aussi, à faire mémoire. Vous allez me dire : ce sera bien difficile pour nous qui avons des mémoires si défaillantes ! Il nous est difficile de nous rappeler ce que nous avons mangé ce matin… mais quand même, dans ces mémoires défaillantes, il y a quelques événements qui surnagent, quelques moments de notre vie qui ont marqué à jamais nos cœurs et dont nous gardons le souvenir. Et s’il arrivait qu’il n’y en eût aucun, que tout ait été effacé, il nous reste la mémoire de Marie. C’est avec elle que nous sommes invités à faire mémoire des événements qui marquent le début de la nouvelle étape du Salut. C’est avec elle que nous sommes invités à accompagner le Christ au long de son chemin. C’est avec elle que nous sommes invités à faire mémoire de ce qu’il a fait et de ce qu’il a dit. Nous le faisons, chacun à notre manière, mais comme l’évangile nous y invite : avec elle, nous sommes appelés à méditer sur ces événements.

Méditer cela veut dire précisément repasser dans notre cœur. Et si nous n’avons rien à repasser parce que tout est vide, nous avons du moins à repasser ce que Marie nous a légué et nous a donné. Nous en avons un très bon exercice avec la récitation du rosaire qui nous permet de méditer sur les mystères de la vie du Christ et de les méditer avec Marie qui portait tous ces événements dans son cœur et qui les méditait.

Ainsi, nous entrons avec elle dans la deuxième étape, l’étape de la manifestation qui va se concrétiser par la célébration de l’Épiphanie dimanche prochain. Nous entrons dans l’étape de ce que les hommes, les femmes, vont voir du Fils de Dieu, de ses actes, de ses paroles, de ce qu’ils vont accepter de voir et d’entendre, comme aussi de ce qu’ils vont refuser de voir et d’entendre, puisque, comme Siméon l’a annoncé : il sera l’occasion du relèvement pour un grand nombre mais aussi de la chute pour les autres. Cela veut dire que cet enfant, devant lequel nous nous attendrissons tellement, est le signe de contradiction qui va partager les hommes et les femmes en fonction des choix de leur vie.

Nous entrons donc dans cette période qu’on appellera plus tard par la vie publique de Jésus, où nous découvriront peu à peu comment Dieu accomplit ce qu’il a promis. Nous découvrirons surtout comment la vie, les actes, les paroles de Jésus sont un appel adressé à chacune et à chacun d’entre nous pour que, nous aussi, nous entrions, aussi simplement que nous le pouvons, dans la joie des bergers et que nous racontions ce que nous avons vu et entendu pour partager cette joie à tout le monde.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris